CHAPITRE 3

Cela faisait plus d’une décennie standard que Saba Sebatyne vivait parmi les humains. Et pourtant, il lui restait encore beaucoup à apprendre à leur sujet. Elle ne comprenait pas pourquoi Maître Skywalker semblait si perdu, pourquoi il avait cessé de parler à ses amis et concentré toute son attention sur son état intérieur. Il devait pourtant savoir que ce n’était pas ce que Mara aurait voulu, qu’elle aurait aimé qu’il reste déterminé et guide les Jedi jusqu’au terme de cette période de crise.

Mais il restait là, le regard fixé sur le bûcher funéraire, comme s’il n’arrivait pas à croire que sa compagne s’y trouvait, comme s’il s’attendait à tout moment à la voir se réveiller et le rejoindre. Peut-être essayait-il simplement de comprendre pourquoi Mara n’avait pas fait en sorte que son corps soit rendu à la Force. Sans doute se demandait-il, comme beaucoup d’autres Maîtres, si la dépouille recelait un indice concernant l’identité du tueur qui leur aurait échappé durant l’autopsie. Ou alors il s’inquiétait à l’idée que le passé de Mara s’en soit mêlé, qu’elle ait fait quelque chose de si terrible, en tant que Main de l’Empereur, que la Force ne pouvait plus la reprendre.

Saba n’avait pas de réponse. Elle savait que Maître Skywalker avait été blessé d’une manière qu’elle ne pourrait jamais comprendre et qu’il s’était égaré en chemin. Et elle craignait que quelque chose de terrible ne se produise s’il ne retrouvait pas rapidement ses esprits. Elle le ressentait au travers de la Force.

Saba perçut le poids d’un regard et se tourna pour découvrir les yeux verts de Corran Horn braqués sur son dos. Il se trouvait à trois mètres de là, en grande conversation avec Kyp et Kenth Hamner. Cilghal, Kyle Katarn et les autres Maîtres étaient restés auprès de Maître Skywalker et de Ben. Remarquant que Saba le regardait, il lui fit un petit signe de tête pour l’inviter à le rejoindre.

Saba opina du chef, non sans jeter un coup d’œil en arrière pour s’assurer que les dignitaires qui avaient envahi la cour ne s’impatientaient pas outre mesure du retard pris par la cérémonie. Tenel Ka se trouvait au premier rang, agenouillée en méditation aux côtés de Tesar, Lowbacca, Tahiri et la plupart des autres Chevaliers Jedi. Seules exceptions : Jaina et Zekk, à qui l’on avait ordonné de continuer à traquer Alema Rar. Assis derrière les Chevaliers Jedi, l’amirale Niathal et son Haut Commandement au grand complet se tenaient bien droits, trop disciplinés pour s’agiter malgré le retard. Dans leur dos se trouvaient l’essentiel du Sénat et les secrétaires de tous les ministères importants, qui tâchaient d’employer intelligemment ce délai pour échanger des murmures solennels. Le seul individu attendu que Saba ne vit pas était celui qui aurait dû occuper le siège vacant au côté de l’amirale Niathal, le co-leader du nouveau gouvernement : Jacen Solo.

Rassurée sur le fait que les invités n’étaient pas sur le point de s’en aller, Saba prit poliment congé de Ben et d’un Maître Skywalker qui la voyait à peine pour rejoindre Corran et les autres. Kyp Durron arborait toujours ses longs cheveux bruns en bataille, mais au moins s’était-il rasé pour l’occasion. À l’inverse, l’apparence de Kenth Hamner, qui semblait assez âgé pour être le père de Kyp, était toujours aussi digne et soignée.

— Quoi ? voulut savoir Saba. Ne voyez-vous pas à quel point cette attente affecte Maître Skywalker ? Quand allons-nous commencer ?

Corran et Kyp échangèrent des regards nerveux, puis Kenth prit la parole :

— Nous démarrerons dès que vous serez prête, Maître Sebatyne.

Saba passa brièvement sa langue sur ses lèvres, en se demandant pourquoi ils attendaient après elle.

— Celle-ci ?

— Tout à fait, répondit Corran. (Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule en direction de Ben et de Maître Skywalker, puis baissa la voix jusqu’à ne plus s’exprimer que par un murmure :) Avez-vous perçu ce trouble dans l’accès au niveau supérieur, il y a quelques instants ?

— En effet, répondit Saba. Qu’est-ce que c’était ? Une équipe de journalistes tentant de filmer dissscrètement les funérailles ?

— Pas exactement, intervint Kyp, en chuchotant lui aussi. Il s’agissait d’une escouade de la GAG.

Saba resta bouche bée.

— Un commando de la GAG ? Au sssein du Temple ?

— J’en ai peur, répondit Kenth. Ils ont tenté d’arrêter les Solo.

Saba fit claquer sa queue contre la dalle de pierre sur laquelle elle se tenait, l’air concentrée. Puis elle secoua la tête, incrédule.

— Seulement une essscouade ? Ce n’est pas sssuffisant.

— C’est certain, confirma Kyp. Mais nous en reparlerons plus tard. Ils ont déjà quitté l’enceinte du Temple et nous avons d’autres priorités pour le moment.

Saba hocha la tête.

— Bien sssûr. Celle-ci va informer Maître Skywalker.

Comme elle faisait mine de se tourner, Corran tendit la main vers son bras. Puis il parut se souvenir de ce qui risquait d’arriver lorsque l’on agrippait un Barabel et retira vivement la main. Saba émit un sifflement soulagé (elle aurait été embarrassée de lui mordre le poignet devant tant de dignitaires) et plissa le front.

— Pensez-vous qu’il soit bienvenu d’impliquer Maître Skywalker ? demanda Corran. Il n’aura pas forcément la tête à cela en ce moment.

— Celle-ci penssse qu’au contraire sssa tête n’est pas là où elle devrait, répondit Saba. Mara ne voudrait pas le voir ainsi refermé sur lui-même.

— Non, mais elle le comprendrait, avança Kenth. Les humains ont besoin de faire leur deuil, Saba. Nous devons le laisser aller au bout de ces funérailles.

— C’est le seul moyen pour qu’il aille mieux ensuite, ajouta Corran.

Saba fit cliqueter ses écailles et détourna le regard. Encore ce mot, « deuil ». Elle ne comprenait pas à quoi cela servait. Pourquoi les humains jugeaient-ils nécessaire de se noyer dans le chagrin quand leurs proches mouraient ? Ne suffisait-il pas de les garder dans son cœur, d’honorer leur souvenir par la manière dont l’on continuait à vivre ? C’était comme si les humains ne faisaient pas confiance à leur propre esprit pour maintenir les défunts en vie, comme s’ils croyaient qu’une personne avait disparu juste parce que sa vie était arrivée à son terme.

Saba rendit leur regard à Corran et aux autres.

— Nous ne pouvons pas laisssser une telle intrusion impunie, affirma-t-elle. Jacen ssse joue déjà assssez de nous comme cela.

— Ce ne sera pas le cas, l’assura Kyp. Nous agirons dès la fin des funérailles.

Saba opina du chef.

— Bien. Mais celle-ci imagine que vous ne lui avez pas parlé de cette intrusion juste pour lui demander de ne rien dire à Maître Skywalker.

Corran secoua la tête.

— Pas vraiment, admit-il. Voyez-vous, la Princesse Leia était censée faire l’éloge funèbre.

— Ah. À présent celle-ci comprend pourquoi Jacen n’est pas venu.

— Jacen n’était pas au courant, expliqua Kenth. Mais là n’est pas le problème.

— Non, bien sssûr. (Saba avait connu suffisamment de funérailles humaines pour savoir qu’il y avait toujours un discours, que c’était une partie importante du rituel destiné à faire couler les larmes propres à ce type de service. Elle jeta un coup d’œil vers la foule des dignitaires, puis reporta son attention sur Maître Skywalker et Ben.) Alors, comment allons-nous offrir ssson deuil à Maître Skywalker ?

Corran et Kenth échangèrent un regard, avant que ce dernier ne réponde :

— Nous espérions que vous diriez quelques mots.

— Celle-ci ? s’étonna Saba. (Elle se mit à riffler puis se rappela que les humains n’appréciaient guère l’humour durant leurs funérailles et se mordit la langue.) Vous êtes sssérieux ?

Kenth fit oui de la tête.

— Vous étiez l’amie de Mara, dit-il. Si quelqu’un comprend ce qu’elle représentait pour Luke et le reste d’entre nous, c’est bien vous.

— Mais celle-ci n’est même pas humaine, répondit Saba. Et elle ne comprend pas l’idée de deuil.

— Ce n’est pas grave, dit Kyp. (Il accrocha son regard ; un défi silencieux.) Si vous avez peur, nous comprendrons. Je peux toujours y aller à votre place.

— Celle-ci n’a pas peur ! (Saba savait qu’il était en train de la manipuler, mais elle comprenait aussi qu’il avait raison : refuser ne serait pas faire honneur au souvenir de Mara.) Elle ne sssait sssimplement pas quoi dire.

Kyp hocha la tête d’un air de compassion.

— Est-ce à dire que vous voulez que je fasse cet éloge funèbre ?

— Non !

Voir Kyp parler à ses funérailles était la dernière chose dont Mara aurait eu envie. Même s’il s’était montré d’un réel soutien envers Maître Skywalker ces derniers temps, cela n’avait pas toujours été le cas. Et Mara n’avait pas la mémoire courte.

— Celle-ci le fera, reprit Saba. (Elle se tourna vers Kenth.) Que devra-t-elle dire ?

Kenth la poussa doucement au travers de la Force, dans la direction du pupitre devant le bûcher.

— Laissez simplement parler votre cœur. Vous vous en sortirez très bien.

Saba déglutit avec difficulté, puis retourna auprès de Maître Skywalker et lui parla à l’oreille.

— Leia et Han ont été retardés, dit-elle. Celle-ci va commencer.

Ben se pencha vers elle et hocha la tête.

— Bonne idée, approuva-t-il. Maman aurait apprécié.

Un flot chaleureux envahit le cœur de Saba et ses inquiétudes à l’idée de prendre la parole devant tant de dignitaires s’évanouirent. Elle se tourna vers la foule et rajusta ses robes, puis s’avança jusqu’au pupitre. Un micro flottant argenté s’éleva jusqu’à hauteur de sa gorge, mais elle le désactiva d’un petit coup de griffe et le replaça sur son socle de rechargement. Il s’agissait de parler de Mara et elle n’aurait pas besoin d’un porte-voix pour se faire entendre.

Le silence envahit rapidement la cour. Saba prit un instant pour croiser le regard de Tenel Ka, de l’amirale Niathal et de bien d’autres dignitaires. Puis, en employant la Force pour porter sa voix jusqu’aux moindres recoins des lieux, elle entama son allocution :

— Nous nous sssommes réunis dans cet endroit sssacré pour dire adieu à notre chère amie, guerrière féroce et noble ssservante de la justice. Mara Jade Skywalker était l’une des étoiles les plus brillantes de l’Ordre Jedi et elle nous manquera.

Saba reporta son attention sur les Chevaliers Jedi agenouillés au premier rang avant de reprendre :

— Sssa lumière a été arrachée à la galaxie, mais elle n’a pas été éteinte. Elle continue de vivre en nous, au sssein des moments où nous avons chassssé ensemble, et dans les leçons qu’elle nous a enseignées en tant que Maître. (Elle se tourna pour s’adresser directement à Maître Skywalker et Ben.) Elle vit au travers de l’amour et du sssoutien qu’elle offrait en tant que compagne, au travers des sssacrifices qu’elle a faits en tant que mère. Tant que nos cœurs battront, sssa lumière sssurvivra en nous.

Maître Skywalker arracha enfin son regard au bûcher. Même si son expression n’était pas vraiment paisible, il y avait au moins un soupçon de gratitude dans ses yeux. Saba vit que ses paroles l’avaient touché. Elle n’aurait pas su dire, toutefois, si ses propos apportaient un quelconque réconfort à Ben. Il avait le regard rivé sur la dalle à ses pieds, le front plissé sous l’effet de la concentration. Son aura dans la Force était envahie par une douleur, une confusion et une rage tourbillonnantes que Mara aurait trouvées très effrayantes.

Comme Saba réfléchissait à ce qu’elle pourrait dire pour apaiser cette colère, un murmure parcourut les rangs des invités, partant depuis le fond de la cour pour se propager lentement vers le bûcher. Les chuchotements se firent plus forts et plus animés en se rapprochant. Saba se retourna vers la foule, en se demandant si ses paroles pouvaient générer une telle agitation. Elle découvrit que tous les spectateurs tournaient le cou en direction de l’entrée.

Une silhouette vêtue de noir s’avançait d’un pas vif au milieu de l’allée centrale. L’homme arborait des bottes hautes et une longue cape de soie scintillante ceignait ses larges épaules. Son visage était sombre et ses yeux plongés dans l’ombre. Il y avait quelque chose de sec dans son allure. Lorsqu’il devint évident que tous les regards s’étaient braqués sur lui, il leva une main gantée de noir dans un geste à mi-chemin entre l’excuse et le salut.

— Pardonnez mon retard, dit Jacen Solo. J’ai été retenu par des affaires gouvernementales urgentes. Je suis sûr que vous comprendrez.

Le bourdonnement de la foule semblait confirmer son propos. Mais Jacen perçut néanmoins la colère de Saba au travers de la Force. Il prétendit ne pas avoir remarqué son indignation et continua sa progression le long de l’allée, en prenant soin de masquer sa présence dans la Force afin que personne ne réalise à quel point il était nerveux. Les Maîtres ignoraient toujours qu’il était l’assassin de Mara, mais il avait parfaitement conscience que la moindre erreur de sa part pourrait tout changer.

Il n’était toutefois pas question de rater les funérailles. Son absence lui aurait valu bien trop de commentaires ; elle aurait incité trop de gens à se poser des questions. Et cela aurait également constitué un signal très clair à l’intention de Tenel Ka, indiquant qu’il n’avait aucune intention de se réconcilier avec Luke. La présence de Jacen était donc nécessaire, et il devait donner l’impression de vouloir faire la paix avec l’homme dont il venait de tuer la femme.

Une fois arrivé au premier rang, Jacen ignora le siège qui lui avait été réservé auprès de l’amirale Niathal. Au lieu de quoi il s’approcha de l’endroit où les Chevaliers Jedi étaient agenouillés et s’inclina devant Tenel Ka.

— Merci d’être venue, Reine Mère, dit-il en essayant d’agir comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis l’arrivée de la jeune femme sur Coruscant. Je sais que votre voyage n’a pas dû être facile, en ces temps troublés.

— Maître Mara Skywalker était une Jedi extraordinaire et une amie d’exception. (Les yeux gris de Tenel Ka ne laissaient rien paraître.) Nous aurions enduré bien plus encore pour pouvoir être ici.

— Je ne doute pas que votre présence constitue un grand réconfort pour Ben et... (Jacen marqua un temps d’arrêt, avant de terminer :) Maître Skywalker.

Tenel Ka eut un hochement de tête presque imperceptible.

— Nous ne pouvons que l’espérer.

Jacen prit congé avec un claquement poli des talons de ses bottes, pour aller prendre place au côté de Luke. La Force vibrait sous l’effet de l’indignation des Maîtres, mais Jacen fit mine de n’avoir rien remarqué. Les funérailles de Mara constituaient l’opportunité idéale pour améliorer la perception publique de son statut auprès des Jedi, de planter dans l’esprit de centaines de dignitaires l’idée qu’il était l’égal de son oncle. Il ne pouvait pas se permettre d’ignorer une telle occasion. Quant à sa promesse envers Tenel Ka : eh bien, tant qu’il maintenait l’illusion de chercher à se réconcilier avec Luke, il bénéficierait toujours de sa flotte.

Comme Luke ne réagissait pas à la présence de Jacen, Kenth Hamner s’avança et prit la parole, sur un ton de reproche paternel :

— Jacen, vous savez bien que vous n’êtes pas un Maître. (Kenth désigna du doigt les Chevaliers Jedi agenouillés au premier rang.) Votre place est avec les autres Chevaliers... si toutefois vous voulez bien la prendre, Jedi Solo.

— Je crois que c’est là que réside notre malentendu, Maître Hamner. (Jacen ouvrit sa cape pour dévoiler l’emplacement vide de son sabre laser à son ceinturon.) Je ne suis pas ici en tant que Jedi.

— Vous n’en êtes pas moins au mauvais endroit, lança Kyle Katarn en se rapprochant. Il s’agit de funérailles Jedi.

— Une cérémonie à laquelle j’assiste en tant que membre de la famille. (Jacen s’exprimait d’une voix volontairement raisonnable, pour donner l’impression que c’étaient les Maîtres qui rompaient la solennité de l’occasion.) Je ne suis ici que pour réconforter mon cousin et mon oncle.

— Les réconforter ? (Kyp Durron s’était avancé.) Vous espérez que nous allons vous croire ?

— C’est la stricte vérité, dit doucement Jacen.

Kyp ignora l’objection et saisit Jacen par le bras. Mais Luke les surprit tous les deux en levant la main.

— Attendez. (Sous le chagrin, on percevant une étrange note d’urgence dans la voix de Luke.) Jacen est le bienvenu auprès de Ben et moi.

Kyp n’en revenait pas.

— Mais, Maître Skywalker, Jacen saisit le prétexte des funérailles pour...

Luke fit signe à Kyp, Kenth et Kyle de reprendre leur place.

— Tout va bien. Je tiens à ce qu’il soit à mes côtés.

Kyp se renfrogna, mais il obéit, de même que Kenth et Kyle.

Jacen les regarda battre en retraite. Il était aussi perplexe qu’eux. Puis Luke se tourna vers lui et tendit la main.

— Merci d’être venu, Jacen.

Au moment de saisir le bras de son oncle, Jacen prit un soin tout particulier à dissimuler ses sentiments au sein de la Force. Il était difficile d’imaginer que son oncle aurait la force de percevoir sa culpabilité en cet instant, mais la galaxie était pleine des membres tranchés de ceux qui avaient sous-estimé la puissance de Luke Skywalker.

— Mara était une formidable Jedi et une tante aimante. Je n’aurais raté pour rien au monde cette chance de lui rendre hommage.

— J’en suis heureux. Le moment est venu pour nous de combler ce fossé qui nous sépare. (Luke tourna de nouveau le regard vers le corps de Mara.) Je pense que c’est ce qu’elle essaye de nous dire.

— De nous dire ? reprit Jacen.

Il contempla le sommet du bûcher et songea que Luke devait être en train de perdre pied avec la réalité. Mara gisait toujours là, morte. Ses lèvres comme le reste de son corps étaient parfaitement immobiles. Aucun son ne provenait de l’endroit où elle était étendue.

Puis il remarqua que la forme parée de blanc devenait translucide et scintillait sous l’effet des énergies de la Force. Saba siffla sous le coup de l’étonnement, et plusieurs autres Maîtres poussèrent des soupirs de soulagement. Jacen, lui, manqua de s’étouffer sous le choc. Si Mara tentait de dire quoi que ce soit, cela n’avait rien à voir avec une quelconque réconciliation, mais plutôt avec la révélation de l’identité de son assassin.

Luke agrippa l’épaule de Jacen.

— Elle a attendu que nous soyons ensemble, dit-il. Je pense qu’il y a là un message, pas toi ?

À la grande surprise de Jacen, il n’y avait pas la moindre once de tromperie ou de cynisme dans la voix de son oncle, ni dans sa présence. De toute évidence, Luke avait tiré des conclusions erronées quant à ce que Mara tentait de lui dire, peut-être parce qu’elle était morte en lui ayant caché ses activités. Jacen était plus qu’heureux de profiter de l’aubaine.

— Heu, oui, bien sûr... Je pense que c’est exactement ce que nous dit Mara. Nous ne pourrons pas sauver l’Alliance sans œuvrer ensemble.

— C’est juste, répondit Luke. Je vais tâcher de m’en souvenir, cette fois.

— Et moi de même. Je te le promets.

Jacen coula un regard en direction de Tenel Ka et fut récompensé par un hochement de tête quasi imperceptible, mais approbateur.

Luke opina du menton pour signifier son accord, voire sa gratitude. Jacen fit un effort pour empêcher son soulagement, son euphorie, même, de déborder au sein de la Force. Il allait obtenir sa flotte et avec elle la force nécessaire pour attirer la Confédération dans un piège et l’écraser, afin d’unir la galaxie dans la justice et la paix.

Comme Jacen luttait pour maîtriser ses émotions, Luke se tourna vers le pupitre, d’où Saba Sebatyne les observait. Elle avait le regard fixé sur Jacen, mais ses yeux semblaient regarder au-delà, ou peut-être plus profondément au sein de son être, comme si elle contemplait non son apparence publique mais sa personnalité intérieure. Celle de Dark Caedus.

— Saba ? lança Luke à voix basse. (Il y avait une énergie nouvelle dans sa voix, une note d’assurance enfin revenue, que Jacen aurait pu juger alarmante mais dont Caedus savait qu’elle ne durerait que le temps de leur « réconciliation ».) Saaaba ?

Le regard de celle-ci se tourna finalement vers Luke.

— Oui ?

Luke désigna la foule rassemblée.

— Peut-être pourriez-vous continuer ? (Il jeta un coup d’œil vers le cœur lumineux de Mara au travers duquel on pouvait déjà distinguer le mur du fond de la cour.) J’aimerais terminer avant que Mara n’ait tout à fait disparu.

— Oui, pardonnez celle-ci, répondit-elle. Elle était... distraite.

Saba se retourna vers la cour, mais sans reprendre immédiatement son discours. Au lieu de quoi elle scruta les spectateurs, en ébouriffant ses écailles, puis jeta un nouveau coup d’œil à Luke et Jacen, avant de reporter son attention sur la cour. Jacen sentit qu’elle avait du mal à prendre une décision, qu’elle luttait pour ravaler son indignation quant à la façon dont il profitait du chagrin de Luke. Il réalisa alors qu’elle allait rendre ces funérailles particulièrement déplaisantes pour lui.

— À n’en pas douter, reprit-elle, celle-ci parle au nom de chacun quand elle affirme sssa sssatisfaction de voir que le colonel Solo a pu ssse libérer quelques minutes pour honorer sssa noble tante.

Cette entrée en matière était suffisamment choquante pour qu’une grande partie des regards s’arrachent à la contemplation de la silhouette évanescente de Mara. Un cœur de murmures confus et de hoquets indignés s’éleva des rangs des invités, mais Jacen maintint une expression neutre et continua de regarder poliment en direction du pupitre. Quoi que puisse dire Saba, cela n’affecterait pas l’opinion de Tenel Ka.

Jacen se surprit même à s’interroger sur la possibilité réelle de tenir sa promesse envers elle, de se réconcilier pour de bon avec Luke et de travailler avec lui à sauver l’Alliance. Mais c’était évidemment impossible. Tôt ou tard, quelqu’un découvrirait l’identité de l’assassin de Mara. Lorsque cela arriverait, il faudrait que les Jedi soient déjà bien sous le joug de Caedus... ou qu’ils aient été éliminés.

Après quelques instants, Saba continua :

— Et c’est une bonne chose que le colonel Sssolo arrive à cet inssstant de notre hommage, car le plus grand cadeau que Mara Jade Skywalker nous ait laissssé est l’enssseignement principal de ssson existence, une vie qui avait commencé dans l’ombre la plus profonde qui soit. (Elle se tourna à moitié en direction de Jacen, Luke et Ben.) Très jeune, Mara a été retirée à ssses parents et formée en tant qu’essspionne et assssassssin. Ssson gardien lui a ordonné de faire de choses terribles, alors qu’elle était à peine assssez âgée pour la chasssse. Elle agissssait ainsi car elle pensssait que c’était jussste, elle croyait au rêve d’une galaxie unifiée, d’une jussstice unique, sssous le contrôle d’un ssseul. Il sss’agissssait évidemment de l’Empereur Palpatine et ssson rêve était un sssonge plein de ténèbres. (Cette fois, Saba croisa le regard de Jacen et les écailles de son visage se gonflèrent pour exprimer le reproche.) Cela sssignifiait la mort de milliards d’individus, et l’esssclavage pour des billions d’autres, la fin de la liberté et de toute contessstation. Il a apporté la peur à ceux qu’il prétendait protéger et le malheur à ceux qu’il disait ssservir.

« Comme les missssions de Mara l’éloignaient du droit chemin, elle a commencé à voir le mal tapi dans la vision de son maître. Pendant un temps, elle a tenté de continuer, en se disant que le mal était nécessssaire pour apporter la paix, que certains devaient sssouffrir pour que tousss puissssent vivre en harmonie. (Jacen n’avait toujours pas détourné le regard. Ce fut donc Saba qui rompit la connexion pour se tourner vers les spectateurs.) Nous savons tous comme cela a fini.

Des rires étouffés se firent entendre à travers la cour et, au cœur de la Force, Jacen perçut le changement d’humeur de la foule. Même certains de ceux qui le soutenaient se faisaient plus pensifs. Il s’autorisa à fusiller la Barabel du regard ; rien de menaçant, mais avec suffisamment d’indignation pour exprimer sa colère face à une telle comparaison.

Bien entendu, Saba l’ignora.

— Après la mort de l’Empereur, certains ont refusé de renoncer à sssa vision obssscure. Ils ont tenté de maintenir l’Empire en vie, et même de remettre sur le trône des clones de Palpatine. Mara n’étaient pas parmi eux. L’Empereur ayant disssparu, elle a longuement erré dans la galaxie à la recherche d’une nouvelle vie et commencé à percevoir plus clairement ce qu’elle était devenue, le mal qu’elle avait commis. Puis le dessstin a mis sssa vie entre les mains d’un homme qu’elle consssidérait autrefois comme un ennemi, un homme qu’elle ressssentait encore le désir de tuer. Et, durant leur cheminement difficile l’un avec l’autre, elle a commencé à comprendre qu’il exissstait une autre voie, celle de la liberté, de l’amour et de la confiance.

« Un jour, Mara a confié à celle-ci que pour retirer le voile que l’Empereur avait placé devant ssses yeux, il lui avait sssuffi d’une longue promenade en forêt en compagnie de cet homme. (Saba tendit le bras en direction de Luke.) Qu’après avoir appris à connaître Luke Ssskywalker, il n’était plus difficile d’entrer dans la lumière.

Luke et Ben avaient les larmes aux yeux. Ben eut au moins l’orgueil de se détourner pour s’essuyer le visage, mais Luke laissa simplement les larmes couler, sans jamais quitter des yeux le sommet du bûcher où le corps de Mara passait de l’état de fantôme scintillant à celui d’amas flou de lumière bleutée.

Lorsqu’elle eut totalement disparu, Luke ferma les yeux et poussa un discret soupir, puis il passa le bras autour des épaules de Ben.

— Elle a rejoint la Force, à présent, mon fils murmura-t-il. Elle sera toujours avec nous.

— Ouais, papa. Je sais.

La voix de Ben ne laissait deviner aucune faiblesse et Jacen fut fier de lui. Il tendit une main réconfortante pour serrer l’épaule de Luke, mais sentit alors le poids du regard de Saba. Relevant les yeux, il vit que ceux de la Barabel exprimaient la colère, le chagrin... et une mise en garde.

— Telle était la leçon de la vie de Mara, lança-t-elle. Sssi nous désirons vivre au ssservice du bien, nous n’avons qu’à ouvrir nos cœurs. Et sssi nous voulons apporter la justice et la paix dans la galaxie, nous n’avons qu’à nous avancer dans la lumière.

Jacen baissa la main et rendit son regard à Saba, accompagné d’un sourire froid. L’embarras qu’elle venait de lui causer ici n’importait guère. Il avait remporté la flotte de Tenel Ka et il disposerait désormais des moyens de piéger et d’anéantir la Confédération. Et une fois qu’il aurait réussi, le public se moquerait bien de savoir ce que Saba ou n’importe quel autre Maître pensait de lui. Les gens réaliseraient que c’était Caedus, et non les Jedi, qui constituait le véritable gardien de l’Alliance.

Saba quitta le pupitre et s’inclina devant Luke et Ben, en prenant bien soin d’ignorer Jacen. Puis elle avança jusqu’au pied du bûcher vide. Au lieu de mettre le feu à l’empilement de bois, comme elle l’aurait fait si le corps avait encore été là, elle fit simplement face aux autres Maîtres. Ensemble, ils entreprirent de réciter le Code Jedi.

 

IL N’Y A PAS D’ÉMOTION ; IL Y A LA PAIX

IL N’Y A PAS D’IGNORANCE ; IL Y A LA CONNAISSANCE

IL N’Y A PAS DE PASSION ; IL Y A LA SÉRÉNITÉ

IL N’Y A PAS DE MORT ; IL Y A LA FORCE

 

Dès qu’ils eurent terminé, Jacen s’écarta de Luke pour filer droit vers Saba.

— Un éloge touchant, Maître Sebatyne. (Il insufflait une certaine colère dans sa voix, mais pas de menace.) Très instructif. Je m’en souviendrai pendant très longtemps.

— Bien, répondit Saba d’un ton neutre. Celle-ci essspère sssimplement que vous finirez également par le comprendre.

Plusieurs hoquets de surprise et ricanements trahirent les oreilles indiscrètes dans les premiers rangs des spectateurs. Jacen réalisa le risque qu’il y avait à paraître faible. Il oublia tout semblant de civilité et jeta à son interlocutrice un regard ouvertement hostile.

— Votre humour a toujours constitué un mystère pour moi, Maître Sebatyne, dit-il. C’est un miracle que je n’en aie pas pris ombrage avant ce jour.

— Et j’espère que tu nous pardonneras à présent. (Luke s’avança au côté de Jacen, avant de continuer :) Aucun de nous n’est vraiment lui-même aujourd’hui. Que cela ne t’empêche pas de nous rejoindre, Ben et moi, après la cérémonie, si tu veux bien. J’étais sérieux en parlant de combler le fossé entre nous.

— Ce serait préférable pour tout le monde, affirma Jacen. (Son regard glissa jusqu’à Ben.) Nous devons penser à l’avenir.

Ben se contenta de hausser les épaules et de détourner les yeux.

Son hostilité était douloureuse, mais guère inattendue. En tuant Mara, Jacen avait su qu’il sacrifiait la dévotion que lui portait son cousin. Mais cela n’aurait dû arriver qu’après la découverte de l’identité du tueur. Soit le garçon souffrait plus du décès de sa mère que Jacen ne l’imaginait, soit il suspectait la vérité mais n’en avait parlé à personne.

Caedus se demanda s’il s’avérerait nécessaire de tuer Ben pour protéger le secret de la mort de Mara quelques jours de plus. Jacen espérait que non. Il percevait toujours un vrai potentiel chez son jeune cousin et une partie de lui croyait encore possible de faire de lui un véritable apprenti.

Décidant qu’il était préférable de laisser Ben pleurer sa mère en privé, pour le moment du moins, Jacen prit un air grave et se tourna vers Luke.

— J’ai bien peur de ne pas pouvoir me joindre à vous aujourd’hui, Maître Skywalker. On m’attend sur le pont sous peu.

Perplexe, Luke plissa le front.

— Des manœuvres ?

— Non, j’accompagne la Quatrième Flotte au cœur de l’action. (Il décocha un regard accusateur en direction de Kenth, Kyle et les autres Maîtres.) Je suis surpris que le Conseil ne vous en ait pas parlé. J’avais émis une requête pour des StealthX Jedi.

Luke se tourna vers Saba, qui ne put que hocher la tête en disant :

— Nous avons jugé qu’il ne fallait pas vous déranger.

L’irritation dans le regard de Luke se changea en compréhension. Une expression qui aurait pu être de la honte se peignit sur son visage, puis il fronça les sourcils en dévisageant Saba et les autres Maîtres.

— Vous pourrez me faire un topo plus tard.

Ce fut Kenth Hamner qui répondit :

— Avec plaisir. (Il jeta un coup d’œil à Jacen, avant d’ajouter :) Il y a beaucoup de choses qu’il faudrait que vous sachiez.

Luke plissa les yeux mais se tourna vers son neveu.

— Je comprends. Le devoir t’appelle. Mais j’espère que tu songeras à ce qui s’est passé ici aujourd’hui.

— J’y réfléchirai, répondit Jacen. Tu peux en être sûr.

— Bien. Que la Force soit avec toi.

— Et avec toi.

Jacen se tourna et s’en fut d’un pas vif, en enfonçant les talons de ses bottes dans la duramousse, tout en employant la Force pour écarter doucement les gens sur son passage. Luke le regarda partir, partagé entre l’espoir et la crainte.

S’il restait quelque chose du garçon au cœur tendre qui avait autrefois fréquenté l’Académie Jedi de Yavin 4, il n’arrivait pas à le discerner. Jacen était enveloppé dans une obscurité plus profonde que tout ce qu’il avait pu ressentir récemment, peut-être même depuis l’époque de Dark Vador et de l’Empereur. Rien n’indiquait clairement qu’il puisse être ramené dans la lumière. Pourtant, Luke se devait d’essayer. Si ce n’était pour Jacen, alors pour Leia et même pour l’Alliance... mais surtout pour lui-même. Après l’erreur qu’il avait commise avec Lumiya, après ce meurtre emprunt de vengeance, il ne pouvait supporter l’idée de faire une erreur du même ordre avec son propre neveu. S’il existait encore un moyen de faire entendre raison à Jacen, il devait tenter sa chance.

Kenth Hamner s’avança jusqu’au pupitre et remercia tout le monde d’avoir aidé les Jedi à célébrer l’existence de Mara Jade Skywalker. Il rappela à tous de garder son exemple à l’esprit durant les jours difficiles qui s’annonçaient et les invita au banquet en son honneur dans la Hall de la Paix. Comme la foule se levait pour partir, Luke prit la direction de la sortie du fond de la cour, en faisant signe à Ben, Saba et aux autres Maîtres de le suivre.

La dernière chose dont il avait envie à cet instant était de se concentrer sur l’Ordre. Envahi d’un vide, douloureux à l’endroit où Mara se trouvait autrefois, Luke avait l’impression d’être la victime d’une amputation du cœur. Tout en lui se consumait de chagrin, ses pensées tourbillonnaient au milieu des souvenirs de Mara. Il se remémorait cette traction soudaine sur leur lien dans la Force, comme si elle tombait à l’intérieur d’une étoile, sa tentative pour tendre son esprit vers elle et la ramener en sécurité et la façon dont le lien s’était brutalement rompu, le laissant seul, brisé et perdu.

Mais, alors que Jacen opérait ses premières manœuvres pour affirmer son contrôle sur les Jedi, l’Ordre avait plus que jamais besoin de Luke. Et comme Mara rendait son corps à la Force, il avait réalisé qu’elle attendait de lui qu’il se montre fort, qu’il se reprenne et empêche Jacen d’utiliser sa mort pour détruire quoi que ce soit d’autre.

Une fois le groupe à l’intérieur du petit hall décoré de fougères qui avait servi aux préparatifs des funérailles, Luke se tourna vers Saba.

— Était-ce vraiment nécessaire ? demanda-t-il. Nous ne ramènerons pas Jacen dans le droit chemin en nous opposant publiquement à lui.

— Nous ne ramènerons pas Jacen du tout, répondit Saba. Il ne peut plus être sssauvé.

— Ce n’est pas à vous d’en décider, répondit Luke. Mara s’est accrochée à son corps pour une bonne raison. Elle essayait de nous faire comprendre que si nous voulons sauver l’Alliance, nous devons travailler avec lui, et non contre lui.

— Je ne crois pas, répondit Kyp en secouant la tête. Saba a raison. Jacen profitait simplement des funérailles de Mara pour se donner l’air important aux yeux de l’Ordre.

— Crois-tu que je ne m’en rende pas compte ? demanda Luke. Cela nous fournit malgré tout une ouverture. Et ce sera mieux pour l’Alliance, pour les Jedi et pour la galaxie si nous guidons Jacen plutôt que de le combattre.

— Non, papa, ce ne sera pas mieux, affirma Ben. En fait, je ne crois pas que maman ait prévu un message pour toi, si message il y avait.

— Bien sûr qu’il y en avait un, répondit Luke, incrédule. Pour quelle autre raison ta mère aurait-elle attendu que Jacen arrive pour rendre son corps à la Force ?

Ben haussa les épaules, tout en évitant le regard de Luke.

— Je ne sais pas. Mais je doute qu’elle nous ait dit de nous fier à Jacen.

Luke se rembrunit.

— Ben, qu’est-ce que tu me caches ?

Le garçon secoua la tête.

— Rien du tout.

Si Ben mentait, Luke ne le perçut par dans la Force. Il envisagea d’insister jusqu’à faire craquer le garçon. Mais quiconque avait été témoin d’autant d’interrogatoires de la GAG que Ben ne risquait pas de céder face à une telle tactique. Luke abandonna l’idée et se tourna vers Corran Horn.

— Quelqu’un va-t-il se décider à me dire ce qui se passe ?

Corran jeta un bref regard à Kyp, qui se tourna vers Kyle, lequel pinça les lèvres et détourna les yeux. Il semblait se demander si Luke était en état d’entendre la vérité.

Celui-ci fit face à Kenth.

— Tu disais avoir beaucoup de choses à me dire, lui rappela-t-il. Je t’écoute.

— Nous ne voulions pas te déranger durant les funérailles, répondit Kenth. Mais une unité de soldats de la GAG a tenté d’arrêter Han et Leia. C’est la raison pour laquelle ils n’ont pas pu participer à la cérémonie.

— Ils ont laissé la GAG les surprendre ? s’étonna Luke. On parle bien des Solo ?

— C’est arrivé au sein du Temple, expliqua Kenth. Il y a moins d’une heure.

Cette fois, Luke parut stupéfait.

— Une escouade de la GAG, ici ?

— Au niveau six, précisa Kyp. Les Solo arrivaient par la mezzanine du ministère de la Justice.

— Pourquoi personne ne m’en a parlé ?

Alors même qu’il prononçait ces mots, Luke vit dans l’expression troublée qu’arboraient les Maîtres qu’ils doutaient même d’avoir bien fait en le lui disant à l’instant. Et il en était le seul responsable. Que pouvaient-ils penser d’autre après l’avoir vu se refermer ainsi sur lui-même ? Tenaillé par le doute, quant à lui-même, la Force et l’Ordre, il s’était isolé de tous, à l’exception de Ben. Et il avait joué le jeu de son neveu, en invitant quasiment Jacen à intervenir pour prendre le contrôle de l’Ordre.

Comme personne ne répondait à sa question, Luke reprit la parole :

— Oubliez ça. Où sont-ils à présent ?

Tous les regards se tournèrent vers Corran, qui portait à l’oreille un communicateur relié au réseau de sécurité du Temple.

— Nous l’ignorons, répondit-il. Ils se sont enfuis par la Place de l’Amitié et Leia a employé la Force pour désactiver les caméras de surveillance.

— Pas les Solo, reprit Luke. Je parlais du commando de la GAG.

Corran fronça les sourcils.

— Ils se sont lancés à la poursuite de Han et Leia.

— Peut-on en être certain ? demanda Luke. Si nous ne savons pas où sont Han et Leia...

— Comment sssavons-nous que les sssoldats de la GAG sssont après eux ? termina Saba. Vous croyez que cette tentative d’arressstation était une diversssion ?

— Je pense que c’est une possibilité, affirma Luke. À la façon dont j’ai fui mes responsabilités...

— Tu n’as rien fui, l’arrêta Kenth. Ton chagrin était plus que compréhensible.

— Merci, répondit Luke. Mais le fait est que je nous ai laissés dans une position vulnérable. Tout le monde recherche l’assassin de Mara et s’inquiète pour moi. On ne saurait trouver de meilleur moment pour paralyser les Jedi.

— Alors nous ferions bien de trouver rapidement cette escouade, lança Kyp. (Il se tourna vers le turbo-ascenseur de l’autre côté du hall.) Si nous ne nous hâtons pas, il pourrait y avoir un bataillon entier...

— Tout va bien, dit Corran en l’attrapant par le bras. L’équipe de sécurité du Temple les a repérés. Ils sont à l’extérieur et escortent Jacen sur la Place de l’Amitié.

Saba grinça des dents. Elle semblait perplexe, ou peut-être déçue.

— Jacen aurait changé d’avis quant à l’idée de s’emparer du Temple ?

Corran haussa les épaules.

— Qui sait ? On me rapporte qu’un grand nombre d’aéroglisseurs lourds s’éloignent du Temple. Mais cela ne signifie pas qu’ils transportaient des troupes de la GAG.

Un silence soudain s’empara du groupe et les Maîtres échangèrent des regards qui laissaient voir un mélange fragile de soulagement et d’anxiété. Luke sentit à quel point ils s’inquiétaient tous à l’idée d’avoir pratiquement laissé Jacen prendre le contrôle du Temple... ou pire.

Ce fut Ben qui rompit le silence :

— Alors, qu’allons-nous faire ? On ne peut pas le laisser s’en tirer comme ça, alors qu’il était sur le point de nous faire arrêter.

Luke posa sur lui un regard surpris.

— Nous, Ben ? Je croyais que tu voulais que Jacen devienne ton Maître ?

Les joues du jeune homme s’empourprèrent.

— Je me suis peut-être trompé, avoua-t-il. J’ai le droit. Je n’ai que quatorze ans.

En une autre occasion, Luke aurait pu éclater de rire. Au lieu de quoi, il répondit :

— Nul besoin d’avoir quatorze ans pour commettre des erreurs. J’en ai fait beaucoup, moi aussi.

— Si tu le dis, répondit Ben avec un haussement d’épaules. Et ce n’est pas une réponse à ma question. Tu ne vas pas le laisser s’en tirer, n’est-ce pas ?

Luke réfléchit un instant avant de répondre :

— À vrai dire, je crois que si.

— Quoi ?

Tous les Maîtres avaient réagi en même temps. Et Saba ajouta, en toute sincérité :

— Le moment est mal choisi pour les plaisanteries, Maître Skywalker. Nous avons de sssérieux ennuis.

Luke hocha la tête.

— C’est vrai. De même que ce que j’ai dit à Jacen sur le fait de travailler ensemble. Il faut bien que quelqu’un fasse le premier pas.

— En plein dans le piège à loup, maugréa Ben.

— C’est possible. Mais Jacen n’est pas le seul à savoir tendre des pièges, affirma Luke. (Il posa une main sur l’épaule de son fils et, avec plus d’assurance qu’il n’en avait ressenti depuis la mort de Mara, s’avança en direction du banquet en son hommage.) Et ce pourrait être agréable de le surprendre, pour une fois.